Saison 2015-2016 – Huelgas Ensemble

Mercredi 9 Décembre à 20H30
Eglise Musée des Augustins
Huelgas Ensemble

« La Oreja de Zurbarán »

Andrés Barea – Manuel Machado – Miguel de Ambiela

Anonymus, Juan García de Salazar – Diego de Pontac

Mateo Romero – Fray José de Vaquedano

Apparu dans les années 1970, le « Huelgas Ensemble », s’impose assez vite dans un paysage musical marqué par ce formidable mouvement de (re)découverte de la musique ancienne. C’est à la polyphonie du Moyen Age et de la Renaissante qu’il se consacre essentiellement. L’exigence qui lui permet d’inscrire sa réputation dans la durée est à tous les niveaux. Travail de la voix, du timbre, de l’équilibre sonore, de l’intonation – choix d’un répertoire, profane ou sacré, replacé son contexte historique et social – appropriation d’un style clairement défini -, le tout au service d’une interprétation la plus juste possible. L’ensemble, qui demeure fidèle à son engagement initial, aime aussi à se produire dans des lieux authentiques où la magnificence des voix s’accorde à la beauté de l’architecture.

« L’oreille mystique de Francisco de Zurbarán »

 En 2013 une exposition du peintre Francisco de Zurbarán * s’est tenue au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles. C’est dans ce cadre-là que Paul Van Nevel et l’ensemble Huelgas ont proposé un programme musical faisant écho à l’univers pictural du peintre.

« Le peintre espagnol Zurbarán vivait à l’époque où, sous l’influence de la pensée de Sainte Thérèse d’Avila (1515-1582) et dans le sillage de la Contre-Réforme, le catholicisme passa d’une foi pure à une religion quasi obsessive où l’expérience mystique formait l’apogée de l’union avec le divin. La quête d’une expérience divine directe, d’un état d’extase, n’était pas une chose abstraite dans le monde catholique espagnol […] »

Pour tenter de « donner une réponse à la question de ce qu’aurait pu entendre Zurbarán en son temps » et établir cette correspondance entre peinture et musique, l’ensemble Huelgas va puiser dans le répertoire polyphonique du baroque espagnol.

« […]La quête occupait une place centrale dans la vie quotidienne et donc dans l’art. Par conséquent, la musique de cette époque fut elle aussi très proche de l’art mystique de Zurbarán. […], la polyphonie vocale religieuse de l’époque de Zurbarán était le levier idéal pour porter l’auditeur vers l’exaltation et l’extase… »

 Le programme reflète certains aspects d’une époque profondément marquée par la pensée mystique qui va trouver dans l’expression artistique un terrain favorable à son émancipation.

« … A la recherche du répertoire sacré qu’aurait pu entendre Zurbarán, nous avons découvert non seulement un nombre inouï de compositeurs inconnus et de répertoires vocaux, mais aussi une tension entre les styles polyphoniques conservateurs […] et les nouvelles tendances de la seconda prattica italienne qui, quoiqu’elle fut rejetée par l’église espagnole, s’infiltra petit à petit dans la musique liturgique.

Les compositeurs de musique sacrée de ce florilège furent tous maître de chapelle, et ils furent tous très actifs sur le territoire espagnol en son entier. Leur style plutôt homophone (a capella, sans basse continue ‘moderne’) ainsi que le type d’œuvres qu’ils écrivirent (presque exclusivement liturgiques) cadrent tout à fait dans l’expérience méditative des milieux religieux. »

Andrés Barea, (…) fut consécutivement maître de chapelle des cathédrales d’Osma, de Salamanque, de Valladolid et de Palencia. Le « Miserere Mei Deus » à 8 voix est écrit pour double chœur, à l’instar de la technique vénitienne moderne des « cori spezzati ».

 Juan Garía de Salazar écrivait quant à lui uniquement dans le « Stilo Antico ». La Secuencia del Corpus « Laudra Sion Salvatorem » à quatre voix est un exemple magnifique d’expression mystique sur laquelle l’auditeur de l’époque s’extasiait : les mélodies répétitives, les inflexions harmoniques et les cadences stéréotypées procurent une expérience intemporelle, transcendantale qui rappelle par exemple le « Milagro de Porciúncula » de Zurbarán.

 « L’Agnus Dei » de Diego de Pontac s’inscrit dans la tradition des compositeurs Franco-Flamands de l’époque de Charles Quint et de Philippe II. Le contrepoint très riche en ornementations dans un style virtuose et imitatif montre qu’un écart s’était creusé, au niveau du traitement du texte et de la richesse harmonique, entre le contrepoint traditionnel des Oltremontani et celui purement espagnol de la génération suivante.

 Les lamentations à huit voix de Fray José de Vaquedano sont un exemple type de la transcendance insaisissable que la musique peut procurer. Cet art atteint son plus haut degré de désir sensuel d’éternité dans les mélismes entraînants sur les lettres hébraïques au début de chaque vers – surtout dans le ‘Caph’ qui dure trente-cinq mesures ! Cette œuvre de ce compositeur tombé dans l’oubli, est indéniablement l’une des apogées du répertoire des lamentations du XVIIe siècle.

 La musique de Miguel de Ambiela, un compositeur tout à fait inconnu aujourd’hui, a été retrouvée dans les livres de chœur de la cathédrale de Toledo où il fut maître de chapelle durant de longues années. Le « Stabat Mater » à quatre voix respire la tranquillité et l’ascèse réservée grâce aux mouvements lents du cantus firmus sur lequel la composition est fondée.

 Cet éventail de musique religieuse nous ferait presque oublier que Zurbarán fut également imprégné de la musique profane de son époque. Trois sur les quatre exemples qui sont repris dans ce concert (ceux de Manuel Machado et de Mateo Romero), sont extraits du « Cancionero de la Sablonara », la principale source de musique profane espagnole du XVIIe siècle, compilée entre 1624 et 1625 au sein de la Capilla Real à Madrid et El Escorial. La forme des ces œuvres (villancico, romance et tonos) est très similaire à celle de la poésie espagnole. Lope de Vega fut l’un des fournisseurs de textes les plus importants. Le caractère populaire de ces œuvres profanes oscille entre la mélancolie et les contrastes truculents. Or c’est justement dans ces œuvres profanes que l’on distingue pour la première fois la culture musicale purement espagnole, dénuée de toute influence étrangère. Cette musique va de pair avec le mysticisme tout aussi authentique de l’art de Zurbarán. »

 En italique, textes de Paul Van Nevel

 

* Aux côtés de Velázquez et de B. E. Murillo, Francisco de Zurbarán est l’un des peintres les plus représentatifs du « Siglo di Oro », période qui en Espagne recouvre les XVIe et XVIIe siècles. Une grande partie de son œuvre sera consacrée à la peinture religieuse où son talent s’exerça avec ferveur.

Programme

 

Andrés Barea (1610– 1680)

 

Miserere mei Deus (psaume L), à 8, alternatim

 

Manuel Machado (1590 – 1646)

 

Salió a la fuente Jacinta – romance à 4

 

Miguel de Ambiela (1666 – 1710)

 

Stabat Mater dolorosa, à 1 & 4

Anonymus (Espagne fin du 16ème siècle)

 

Rio de Sevilla cançion con estribillo, à 3

Juan García de Salazar (1639 – 1710)

 

Lauda Sion Salvatorem secuencia del Corpus à 4

 

Manuel Machado (1590 – 1646)

 

Dos estrellas le seguen – romance à 2, 3 & 4

 

Diego de Pontac (1603 – 1654)

 

Agnus dei « In exitu Israel », à 4

 

Mateo Romero (1576 – 1647)

 

Fatigada navecilla – villancico à 4

 

Entr’acte

 

Fray José de Vaquedano (1642 – 1711)

 a.  Lamentaciones de Semana Santa, à 8

Incipit lamentatio Jeremiae

Aleph. Quomodo sedet sola civitas

Beth. Plorans ploravit…

Ghimel. Migravit Judas…

Daleth.Viae Sion…

Jerusalem convertere…

 

b.   De Lamentatione Jeremiae

Heth. Cogitavit Dominus

Theth. Defixae sunt…

Iod. Sederunt…

Caph. Refecerunt…

Jerusalem convertere…

HUELGAS ENSEMBLE

Cantus

Axelle Bernage, Sabine Lutzenberger, Poline Renou,

Katelijne Van Laethem

 

Ténors

Achim Schulz, Stefan Berghammer, Timothy Leigh Evans,

Tom Phillips, Matthew Vine

Basses

Frederic Sjollema, Guillaume Olry

Direction

Paul Van Nevel