Saison 2015-2016 – Quatuor Hagen

Mercredi 27 Janvier à 20H30

Concert reporté au MERCREDI 11 MAI 2016

Musée des Augustins – Salon Rouge
Quatuor Hagen

« Les Ecoles de Vienne»

Fait vraisemblablement unique en son genre, ce quatuor mondialement reconnu et admiré, rassemble lors de sa création en 1981 et pour quelques années quatre membres d’une même famille originaire de Salzbourg. De fructueuses rencontres avec des personnalités du monde musical, compositeurs et interprètes mais aussi chefs d’orchestre et spécialistes, conduisent le quatuor à élargir son point de vue et à s’associer à certaines réalisations originales. De la musique baroque à la musique contemporaine, leur répertoire, diffusé dans le monde entier, s’est étoffé au fil des ans dans un bel esprit de découverte et de partage. Parvenu à une maturité certaine le « Quatuor Hagen » a su garder l’esprit de cohésion et l’élan créatif de ses débuts. Après plus de 30 ans de carrière il figure toujours parmi les formations de musique de chambre de tout premier plan.

Le quatuor à cordes est considéré comme la forme la plus noble et la plus aboutie dans le domaine de la musique de chambre. Conçu pour quatre instruments solistes (deux violons, un alto et un violoncelle), c’est après l750 que sa forme, composée d’une succession de quatre mouvements, se stabilise*. Les œuvres de Haydn, Mozart et du jeune Beethoven apparaissent déjà comme des modèles du genre si caractéristique du pur classicisme viennois.

Schubert : Quatuor à cordes n°15, en sol majeur D. 887

Oeuvre posthume op. 161 / Allegro molto moderato, Andante un poco moto, Scherzo. Allegro vivace – Trio. Allegretto, Allegro assai

 

Schubert pratiqua la musique de chambre en famille dès sa jeunesse et toute sa vie, avec ses amis. Celle-ci occupe une place de choix dans l’ensemble de son œuvre et son langage dans ce domaine évolue de manière sensible au fil des ans. Ce terrain, plus intimiste, est pour lui propice à la confidence et révélateur de ses « aspirations aux formes supérieures de l’art ». Mélancolie, douleur, nostalgie, mais aussi amertume et révolte peuvent s’y exprimer sans emphase mais avec une totale sincérité non dépourvue de lyrisme et d’élans poétiques spontanés.

 

Composé en quelques jours durant le mois de juin 1826, le 15ème quatuor à cordes est le dernier du genre et l’une des dernières pièces de musique de chambre du compositeur. Précédé par le Quatuor à cordes no 14 en ré mineur « La Jeune Fille et la Mort », de 1824, il devance le Quintette à cordes en ut majeur pour deux violoncelles, daté de 1828.

L’œuvre, jamais interprétée en entier du vivant du compositeur, reste classique par sa facture mais présente plusieurs particularités et surprend par son langage harmonique. De grande ampleur et pleine de contrastes, elle se caractérise aussi par sa dimension symphonique, sa plénitude polyphonique et son intensité dramatique. Le caractère souvent tourmenté et parfois plein d’ardeur de ce quatuor ne laisse que peu de place à une expression plus joyeuse. Dans les deux Allegro, l’un introductif, l’autre conclusif, Schubert joue essentiellement sur des alternances majeur et mineur, sur l’utilisation de rythmes pointés et de trémolos comme matériaux à la fois sonore et rythmique qui génèrent une instabilité surprenante. Celle-ci laisse transparaître ici l’un des aspects les plus novateurs de Schubert dans l’évolution de son langage. Ces procédés se retrouvent d’ailleurs en pointillés dans l’Andante qui oscille entre intensité et relâchement, tension et souplesse, concédant à la ligne mélodique une couleur inhabituelle. En rupture, d’un caractère plus vif et léger, le Scherzo et son Trio se teintent d’une lueur presque optimiste.

 

* Ces mouvements adoptent chacun une structure particulière : le1er, rapide de forme sonate bithématique, – le 2ème, lent souvent de forme lied – le 3ème, de forme menuet ou scherzo – le 4ème rapide, de forme sonate ou rondo. Par la suite Beethoven dont l’apport et l’influence furent considérables va peu à peu en complexifier la forme et l’esprit.

Chostakovitch : Quatuor à cordes n°15 en mi bémol mineur, op. 144

Élégie, Sérénade, Intermezzo, Nocturne, Marche funèbre, Épilogue

« Il faut le jouer de telle sorte que les mouches tombent mortes du plafond

et que les spectateurs commencent à sortir de la salle par pur ennui ».

Pianiste de formation ayant toujours vécu sous le régime communiste, hormis quelques séjours à l’étranger, Chostakovitch, considéré comme l’« Artiste du peuple de l’URSS », dut cependant se soumettre à certaines exigences sous peine de « mises en garde » ou réprimandes*. Dans sa recherche d’un style personnel il parvient non sans angoisses à concilier les influences du monde occidental et un profond attachement à sa patrie. Le quatuor à cordes, lui offre un espace de liberté où peuvent s’exprimer de manière plus personnelle ses profondes convictions**. Faisant usage d’une écriture plus recherchée empruntant à l’atonalité et au dodécaphonisme notamment, son approche non conventionnelle dans ce domaine rappelle aussi celle de Beethoven.

 

Créé le15 novembre 1974 à Léningrad, le quatuor n°15, dernier quatuor écrit par le compositeur, comprend 6 mouvements tous portant un titre évocateur et qualifiés d’« Adagio ». L’atmosphère qui s’en dégage, assez sombre dans l’ensemble, est proche d’une profonde désolation poussée jusqu’au paroxysme à certains moments. Chaque mouvement s’appuie sur une forme musicale plus ou moins élaborée. De la texture très dense peuvent aussi émerger sous forme de solos des sonorités aux accents parfois déroutants. A l’Elégie, introduction lente qui emprunte à la fugue ses motifs en imitation, succède une Sérénade aux rythmes secs et répétitifs d’une grande tension, sur laquelle vient se greffer une sorte de danse aux contours étranges. L’Intermezzo, brillant et dynamique, est suivi d’un Nocturne plus apaisé qui déroule une mélodie plaintive et nostalgique. La fin de cet épisode introduit la Marche funèbre aux rythmes martelés et pesants d’où surgissent quelques âpres solos instrumentaux. Dans une atmosphère de grande inquiétude, l’Epilogue tout en tensions et détentes reprend quelques éléments des mouvements précédents pour conclure ce quatuor.

Comme une sorte de « testament musical », cette œuvre grave résonne telle une prémonition. Le compositeur devait décéder l’année suivante.

 

* Honoré par plusieurs distinctions et prix (Prix d’Etat, Prix Lénine…), Chostakovitch se vit confier des postes importants (Professeur de composition au Conservatoire de Léningrad puis au Conservatoire de Moscou), et des fonctions officielles (Premier Secrétaire de l’Union des Compositeurs).

 

** Toutefois, quelques unes de ses œuvres ont été qualifiées de « Désordre musical » et le compositeur est sommé de faire son « autocritique » pour adhérer par son art aux « réalités de la vie actuelle du peuple russe ». Il perd également sa place de professeur durant une certaine période. Il fait alors preuve d’allégeance sous forme de « réponse d’un artiste soviétique à de justes critiques » en composant ou en remaniant des œuvres de manière plus conformiste.