Saison 2019-2020 – Ensemble Tictactus

Mercredi 26 février 2020 à 20h30

Temple du Salin

Pour réserver Cliquer ici


« Mad Songs »


 

Un vent de folie venu tout droit d’Angleterre soufflera sur le temple du Salin ! Passion démente, euphorie, exaltation… Place à la démesure !

À l’origine un trio : Lucile Richardot, voix « profonde et fascinante » d’une « mezzo avec des graves d’alto » qu’accompagnent deux luthistes-théorbistes experts et inventifs. Dès 2012, il s’impose par son éclectisme, sa vitalité, sa faculté à associer rigueur, fantaisie et art de la scène. Au gré des rencontres et des programmes le trio devient ensemble, totalement investi physiquement et vocalement, quel que soit le répertoire abordé. Autour d’œuvres de Purcell, Coperario, Blow…, Mad Songs résonne comme une plongée au cœur de l’Angleterre du XVIIe siècle nourrie aux charmes et aux affres des passions et autres folies. Portés par un même élan, instruments et voix s’unissent pour explorer et dépeindre avec intelligence et sensibilité nuances, aspects et contours dramatiques de ce véritable miroir « de tous les états par lesquels passe l’âme ».

 

 

Interprètes

Ensemble Tictactus

Lucile Richardot, mezzo

Jeffrey Thompson, ténor

Marie-Suzanne de Loye, viole de gambe

Stéphanie Petibon et Olivier Labé, luth, archiluth, théorbe et guitare

Brice Sailly, clavecin, ottavino

Au programme

Henry Purcell (1659-1695)

John Blow (1649-1708)

John Coperario (1570-1626)

John Eccles (1668-1735)

Anonyme

 

Pour télécharger le programme complet cliquer sur le lien :
Programme AR – Concert 26 février 2020

Entre le début et la fin du XVIIe siècle, l’Angleterre, grande puissance européenne, traverse des périodes de troubles intenses qui, historiquement et institutionnellement, voient se succéder la chute d’une Monarchie absolutiste, celle des Stuart, suivie de l’instauration d’une République sous domination puritaine qui précède le rétablissement d’un pouvoir royal durant la Restauration.1 À cette instabilité politique s’ajoute celle du religieux, chacun des souverains au pouvoir imposant un rite particulier au regard de leur croyance et dont les répercussions sont sensibles dans tous les aspects de la vie quotidienne. L’alternance répétitive entre protestantisme et catholicisme affecte profondément la société, entraînant conflits et insurrections violentes dont l’impact est sensible jusque dans les milieux culturels et artistiques : démontage des orgues, interdiction de jouer de la musique religieuse, fermeture des lieux de culte, des lieux de divertissement et manifestations publiques et des théâtres.

 « Durant les troubles, … la musique garda la tête haute, pas à la cour même, ni dans les théâtres profanes, mais en petite société ; beaucoup préféraient jouer chez soi, plutôt que sur la place publique où ils auraient été roués de coups… »

Roger North, Memoirs of Musik

Malgré tous ces bouleversements, la vie culturelle et artistique demeure relativement florissante, affirmant un engouement particulier pour la musique. Parallèlement, l’essor de l’édition musicale permit aux pratiques privées de se développer dans les salons nobles et bourgeois mais aussi au sein des concerts d’amateurs, des clubs, tavernes, auberges ou music houses et lieux de rencontre comme les coffee houses. La réouverture des théâtres et l’apparition des premiers concerts publics marquent une ère nouvelle et glorieuse dès le rétablissement de la monarchie.

Si certains compositeurs s’inscrivent encore dans la grande tradition polyphonique propre au XVIe siècle, la génération suivante ouverte aux influences extérieures, et notamment celles de l’Italie et de la France, s’engage sur des voies nouvelles passant ainsi de la Renaissance au style baroque. L’accueil de plusieurs artistes étrangers -compositeurs, chanteurs, instrumentistes…- encouragé par certains souverains et dont la renommée dépasse déjà les frontières de l’Europe, permet à Londres d’acquérir une juste réputation de capitale musicale.

Qu’elle figure dans les œuvres composées pour le théâtre ou l’opéra, les offices ou les concerts privés puis publics, la musique vocale profane ou religieuse occupe une place de choix. Sur le plan instrumental, viole, virginal, orgue, clavecin, luth, flûte…, jouissent d’une réelle faveur avant que les cordes et vents ne deviennent incontournables, permettant des formations orchestrales plus étoffées. Durant cette période, excepté sous la gouvernance de Cromwell, la plupart des compositeurs œuvrent dans les sphères privées et publiques mais aussi dans le contexte bien particulier de la cour. Occupant des fonctions plus ou moins importantes, -organiste de l’Abbaye de Westminster, gentleman de la Chapelle royale, Maître de la musique du Roi, Maître de chœur de la Chapelle, compositeur officiel…, ils se doivent de respecter certaines obligations en lien avec leur charges tout en restant libre de composer pour d’autres institutions.

Mad Songs

« Voyage dans un crâne malade »

Généralement traduit par « chansons folles » ou « airs de folie », les Mad songs constituent un répertoire identitaire, directement associé à un « mal » qui se répand dans toute l’Europe. À cette époque l’Angleterre, marquée par les nombreuses intrigues et intolérances, offre des visages bien contrastés. Populaires et très prisés, les « airs de folie », -en solo, duo, chœur…-, pièces isolées ou intégrées dans un grand nombre d’œuvres destinées à la scène, s’inscrivent dans une tradition bien anglaise. Chantés par les poètes et les compositeurs, les tourments de l’âme reflètent un état social qui sous l’emprise de la mélancolie en illustrent toutes ses contradictions.

 « … la mélancolie qui frappe l’individu n’est que l’une des manifestations d’un désordre beaucoup plus large se déclinant sous la forme de désordres
(naturels, sociaux, politiques, religieux, intellectuels). »

Robert Burton - The Anatomy of Melancholy, 1621

Relativement sobre mais vigoureuse et éloquente, la mise en scène de ces Mad songs propose une approche aux aspects divers et nuancés de ce « trouble des humeurs » qui engendre solitude, tristesse, vague à l’âme, désespoir, hystérie, mais aussi gaieté, colère, passion, excentricité, extase, langueur ou sensualité, déroulant ainsi toute une panoplie de comportements souvent associés à la folie. Plusieurs de ces « émotions humaines » peuvent être évoquées au cours d’une même œuvre.

 Œuvres vocales

Afin d’être au plus près de l’expression poétique ou dramatique, vectrice de sensations et d’émotions, les compositeurs s’attachent à mettre en valeur les subtilités de la langue anglaise pour évoquer les multiples facettes « des états de toutes sortes », parfois considérés comme ressorts de l’imagination et de la création.

John Blow

Organiste et compositeur, John Blow est reconnu par ses contemporains comme « l’un des meilleurs musiciens de son temps », loué « pour l’excellence de son enseignement », ce qui lui vaut d’être nommé Doctor of Music. Son influence en tant que maître fut bénéfique pour plusieurs compositeurs et musiciens dont Purcell avec qui il entretient une relation amicale et bienveillante.

*Tis woman makes us love  

Catch, canon à 4 voix

Tis women makes us love, Tis Love that makes us sad…

John Coperario [ou Coprario]

Compositeur anglais, luthiste et gambiste, apprécié en tant qu’instrumentiste, Coperario [de son vrai nom John Cooper], s’impose essentiellement dans le domaine de la musique de chambre pour cordes. À travers un style très personnel se perçoit l’influence de la musique italienne alors très en vogue en Angleterre.

*Tom o’Bedlam

Forth from my dark and dismal cell, Or from the deep abyss of Hell…

Décrit comme « mendiant vagabond sorti de l’asile », le personnage de Tom 2 figure dans plusieurs ouvrages littéraires et musicaux.

Anonyme

*Mad Maudlin

To find my Tom of Bedlam, Ten thousand miles I traveled…

 Extr. de Wit and Mirth, or, Pills to Purge Melancholy volume IV [« Esprit et joie, ou des pilules pour purger la mélancolie »], recueils en plusieurs volumes de chansons pour voix seule du poète et dramaturge Thomas D’Urfey, 1698

Henry Purcell

Organiste, claveciniste et chanteur. Par l’ampleur, l’inventivité, la richesse d’écriture et d’expression de ses œuvres il est sans contexte le compositeur le plus accompli et le plus remarquable de sa génération. Son éditeur, Henry Playford, salue sa grandeur :

« L’extraordinaire talent de l’auteur dans toutes sortes de musique est suffisamment connu, mais il fut tout particulièrement admiré pour le vocal, possédant un génie particulier pour exprimer l’énergie des mots anglais, par quoi il éveillait les passions de ses auditeurs. » Recueil de Songs publié en 1698.

* Behold the Man that with gigantick might, Z 608/1

Behold the Man that with Gigantick Might, Dares Combat Heav’n again…

Extr. de The Richmond Heiress, or, A Woman Once in the Right, comédie de Thomas D’Urfey,1691

* Bess of Bedlam, Z 370 3 [alternatif : From silent shades and the Elysian Groves]

From silent shades, and the Elysian groves…

 Extr. du livre IV de Choice Ayres, songs and dialogues to sing to the theorbo-lute, or bass-viol, 1683.

 * Not all my torments can you pity move, Z 400

Not all my torments can your pity move, Your scorn increases with my love…

 * From rosy Bow’rs, where sleeps the god of love, Z 578

From rosy bowers, where sleeps the god of love, Hither, ye little waiting Cupids, fly…

 Extr. de The History of Don Quixote, livret de Thomas D’Urfey, 1695

* Let the dreadful engines, Z 578

Let the dreadful engines of eternal will, The thunder roar and crooked lightning kill…

Air extrait de la musique de scène composé pour la pièce The comical history of Don Quixote [d’après Cervantès] de Thomas D’Urfey, 1693

* No resistance is but vain, Z 601/2

No, no, no, no, resistance is but vain, And only adds new weight to Cupid’s Chain

Extr. de la musique de scène composée pour la pièce The Maid’s Last Prayer or Any Rather Than Fail de Thomas Southerne, 1693

* Music for a while, Z 583/2

Music for a while Shall all your cares beguile…

Extr. de Oedipus, pièce [d’après Sophocle] de John Dryden et Nathaniel Lee, 1679

* O solitude, my sweetest choice, Z 406

O Solitude ! my sweetest choice ! Places devoted to the night…

Texte de Katherine Philips [adaptation d’un poème d’Antoine Girard de Saint-Amant]

 * In vain the am’rous flute, Z 308

In vain the am’rous flute and soft guitar, jointly labour to inspire…

Extr. n° 10 de Hail ! Bright Cecilia, 1692 – Ode à Sainte Cécile.

Plusieurs des œuvres de Purcell figurent également dans Orpheus Britannicus, recueil posthume publié par Henry Playord entre 1698 et 1702. 

 John Eccles

Trop peu connu, Eccles a eu le privilège de servir quatre souverains. Naturellement ses choix s’orientent vers le théâtre où, remarqué par Purcell, il collabore à la musique écrite pour The comical history of Don Quixote ainsi que pour d’autres pièces. À la charnière de deux siècles il est l’héritier de ses prédécesseurs et d’une certaine manière préfigure certaines tournures propres au XVIIIe siècle.

* I burn, I burn my brain consumes to ashes… 

I burn, I burn, my brain consumes to ashes ; Each eye-ball too, like lightning flashes…

Extr. de la musique de scène composé pour la pièce The comical history of Don Quixote [d’après Cervantès] de Thomas d’Urfey, 1694

 Pièces instrumentales

Durant cette période et de manière générale les pièces instrumentales pour clavecin, et notamment la suite avec ses danses caractéristiques, demeurent sous influence française jusque dans les titres, les rythmes et l’ornementation. Forme musicale chère aux compositeurs anglais, le ground, permet de développer une écriture harmonique et mélodique ample et élaborée à partir d’une basse obstinée. Ce procédé intégrant une série de variations est présent aussi bien dans la musique instrumentale que vocale.

Henry Purcell

La plupart des pièces sont extraites de The second part of musick’s handmaid, recueil édité à Londres chez John Playford en 1689 qui contient des « lessons, grounds, sarabandes, menuets et gigues pour virginal, clavecin et épinette ».

* New minuet, ZT 689/5
* Minuet, Z 649/6

* A minuet, Z 650/7
* A new ground, ZT 682/9
* Ground, ZT 681/33

* A new Irish tune -Lilliburlero-, Z 646/10

* Air, ZT 676/28

* Round O, ZT 684/38

 John Eccles

Ground instrumental

 …………………………………………………………………………………………

1 La dynastie des Stuart s’installe au pouvoir durant tout le XVIIsiècle: Jacques Ier (calviniste converti à l’anglicanisme), Charles Ier (anglican, décapité),  Charles II (protestant, exil en France, favorable au catholicisme et aux arts), Jacques II (anglican converti au catholicisme, destitué), Guillaume III (calviniste) et Marie II (anglicane). La Révolution menée par Cromwell (puritain) vient un temps rompre cette succession.

2 Le terme Bedlam renvoie à la fois à un lieu et à un état psychique [« état de folie ou de chaos »]. Sa traduction peut signifier aussi bien tumulte que chahut, agitation, confusion… Dans le Roi Lear de Shakespeare, Edgar condamné à l’errance revêt la figure de Tom O’Beldam.

 3 Le Bethlehem Hospital of Saint Mary fondé au XIIIe siècle, devenu par la suite Bethlem Hospital puis Bedlam, est un lieu de soins destiné à dispenser remèdes et hébergement aux pauvres, mendiants ainsi qu’aux personnes atteintes de maladie mentale.