Saison 2018-2019 – Il Delirio fantastico

Mercredi 14 novembre 2018 à 20h 30

Eglise Saint-Exupère

 


« Amour profane, amour sacré »


Autour de Claudio Monteverdi et Tarquinio Merula
Musique italienne des XVIe et XVIIe siècles

Au fil des saisons Il delirio fantastico s’impose avec détermination dans un paysage musical où bien des sensibilités se sont déjà largement exprimées. Entouré de jeunes musiciens spécialisés dans la musique baroque et le jeu sur instruments anciens, le claveciniste Vincent Bernhardt a su forger dès 2009 un esprit de reconquête pour une approche plus personnelle d’un héritage particulièrement ample et riche. « Fraîcheur », « finesse » et « vitalité » sont les marques d’un travail en profondeur où le subtil maillage tissé entre les multiples influences prend tout son sens. Se manifeste alors cette envie de partager avec « enthousiasme » un beau moment de musique.

 

Interprètes

Vincent Bernhardt – clavecin et direction

Laureen Stouligsoprano

9 musiciens

Au programme

 

Marco Uccellini (1603-1680) ~ Aria quinta sopra La Bergamasca

Extr. de Sonate, arie et correnti, op. 3 (1642, Venise)

Claudio Monteverdi (1567-1643) ~ Io la musica son

Extr. de L’Orfeo, 1607 (éd.1609, Venise) – Prologue

Salomone Rossi (1570-1630) ~ Gagliarda a 4 & a 3 si placet detta la Zambalina

Extr. de Sinfonie et gagliarde, Libro 2 (1608, Venise)

Claudio Monteverdi ~ Si dolce è il tormento

Extr. de Quarto scherzo delle ariose vaghezze (Venise, 1624)

Claudio Monteverdi ~ Chiome d’oro

Extr. de Settimo Libro di Madrigali (1619, Venise) – Canzonetta a due voci, concertata da duoi violini, chitarone o spineta – version instrumentale pour flûtes à bec et BC

Tarquinio Merula (1595-1665) ~ Su la cetra amorosa

Extr. de Curtio Precipitato et altri Capricii composti in diversi (Venise, 1638)

Andrea Falconiero (1585-1656) ~ Passacaglia

Extr. de Il primo libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, etc. (Naples, 1650)

Alessandro Piccinini (1566-1638) ~ Toccata

Extr. de Intavolaturo di Liuto… (Bologne, 1639) – pièce interprétée au théorbe

Biagio Marini (1594-1663) ~ Sinfonia del sesto tono

Extr. de Per ogni sorte di strumento musicale diversi generi di sonate (1655, Venise)

Giovanni Battista Buonamente (v. 1595-1642) ~ Sonata opra Poi che noi rimena

Extr. de Varie sonate, Libro 4 (Venise, 1626)

Francesco da Milano (1497-1543) ~ Fantaisie

Pièce interprétée à la harpe

Tarquinio Merula ~ Canzonetta spirituale sopra Alla nanna

Extr. de Curtio Precipitato et altri Capricii composti in diversi (Venise, 1638)

Biagio Marini ~ Sinfonia del primo tono

Extr. de Per ogni sorte di strumento musicale diversi generi di sonate (1655, Venise)

Andrea Falconiero ~ La suave melodia

Extr. de Il primo libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, etc. (Naples, 1650)

Barbara Strozzi (1619-1677) ~ Che si può fare

Extr. de Arie di Barbara Strozzi, Opera Ottava (1664, Venise)

Andrea Falconiero ~ Battaglia de Barabaso yerno de Satanas

Extr. de Il primo libro di Canzone, Sinfonie, Fantasie, etc. (Naples, 1650)

Claudio Monteverdi ~ Laudate Dominum a voce sola

Extr. de la Selva morale e spirituale (1641, Venise)

Giovanni Battista Buonamente ~ Gagliarda primo

Extr. de Varie sonate, Libro 4 (Venise, 1626)

Claudio Monteverdi ~ Damigella tutta bella

Extr. des Scherzi Musicali a tre voci  (1607, Venise)

 

C’est moi la Musique, et par mes doux accents

Je sais calmer tous les cœurs troublés

Et je peux enflammer ou d’amour ou de nobles courroux

Les esprits les plus glacés…

Alessandro Striggio

Prologue de L’Orfeo de Claudio Monteverdi

La période communément appelée Renaissance peut recouvrir plusieurs siècles selon les pays et résonne comme la marque de profonds bouleversements culturels, littéraires, artistiques et scientifiques. En Italie elle s’étend du Trecento au Cinquecento. Reflets des préoccupations quotidiennes profanes et sacrées, les nombreux documents iconographiques et littéraires, la grande diversité du répertoire musical, montrent à quel point la musique et la danse, étroitement enracinées dans l’histoire de l’humanité demeurent des formes d’expression privilégiées.

 

Plusieurs éléments jouent un rôle déterminant dans cette période de transition et d’émancipation. Le développement de l’imprimerie stimule l’art de composer, facilitant la diffusion d’œuvres nouvelles tout en favorisant la pratique musicale. Les progrès de la facture qui se spécialise autour de quelques grandes villes européennes ouvrent une ère importante quant au développement de la musique instrumentale1. Si le début du Seicento est encore empreint de quelques résurgences du passé, c’est dans l’évolution des styles et des formes que les profonds changements sont les plus significatifs. En renonçant peu à peu à la suprématie de l’écriture polyphonique caractéristique du style franco-flamand, les compositeurs, opposant musica antica et musica moderna, s’engagent sur le chemin de la modernité. L’avènement de la monodie accompagnée, du recitar cantando, bénéficie de l’évolution du madrigal qui allie science contrapuntique, souplesse mélodique, liberté de forme et de style. Le rôle confié à la basse continue ainsi que le recours progressif aux tonalités majeures et mineures marquent un tournant décisif. Le stile rappresentativo pose les jalons des grandes œuvres profanes et religieuses à venir tel que l’opéra, la cantate ou l’oratorio.

 

Dès le XVe siècle, parallèlement au développement de la facture, le répertoire instrumental s’affranchit de certaines contraintes liées à la simple transcription. Les instruments interviennent principalement dans les intermèdes, les ritournelles, les ballets, en soliste, en formation de chambre ou d’orchestre, mais aussi en soutien ou accompagnement des voix. La littérature instrumentale naissante s’inspire directement des danses, populaires ou de cour, aux caractères et rythmes très contrastés. Apparaissent également les canzone, toccatas, fantasias, ricercari, sonatas, sinfonie, etc., pièces plus spécifiquement destinées aux instruments. La partita ou variation à partir d’un air ou d’une danse, libre ou sur basso ostinato comme la ciacona ou la passacaglia, devient un genre très prisé.

 

Très tôt, l’orgue et le luth acquièrent une certaine indépendance. Par la suite les instruments – cordes, vents, claviers – se perfectionnent, ce qui rend possible de multiples combinaisons, permet de mettre en valeur la notion de timbre, d’étoffer et de reconsidérer l’étendue de l’espace sonore. Les instruments sont dès lors capables de renforcer l’aspect poétique et dramatique et de traduire musicalement situations et sentiments. Peuvent alors résonner de concert voix, chœurs, cordes, flûtes, cornets, saqueboutes, théorbes, instruments à clavier.

 

Les cours ducales et princières, d’Italie du nord principalement2, jouent un rôle capital organisant avec faste concerts, représentations d’opéra, fêtes et cérémonies. Elles engagent les meilleurs artistes et donnent aux poètes et musiciens une place prépondérante. Tout comme les villes de Venise, Bologne, Florence, Rome, Naples, les cours demeurent des hauts-lieux de création dont la renommée dépasse les frontières de l’Italie.

 

Les compositeurs figurant au programme représentent une génération très impliquée dans cette démarche de reconquête. Ils illustrent librement et de manière convaincante le long cheminement qui, des prémices de la Renaissance, a conduit à l’avènement du premier baroque. Souvent reconnus comme de remarquables instrumentistes et parfois d’habiles chanteurs, ils ont inauguré une nouvelle manière de concevoir la musique dans son rapport à la poésie, à l’expression des sentiments et à la dramatisation du langage musical. Parallèlement se déploie un vaste répertoire purement instrumental, innovant et foisonnant, qui participe de cet esprit de renouveau. L’Italie rayonne, insuffle un nouvel élan, attire de nombreux compositeurs étrangers et s’impose comme l’un des pays les plus créatifs dont l’influence grandissante va gagner toute l’Europe.

 

 

Claudio Monteverdi est sans conteste l’une des figures majeures du stile nuovo. Des années d’apprentissage à Crémone jusqu’à Venise où il est nommé maître de chapelle de la basilique San Marco, en passant par Mantoue, lieu de ses premières grandes créations, le parcours de Monteverdi reflète un désir vivace de perfectionner son style, d’aborder tous les genres de musique et de s’imposer dans ce nouveau paysage musical. Son art réside dans sa capacité à s’approprier les procédés en usage au point de les magnifier en y insufflant sa griffe toute personnelle. Son apport, considérable, repose en grande partie sur un profond respect des textes et des situations, un travail approfondi de l’ornementation et des multiples inflexions vocales, une écriture souvent audacieuse, un sens inné des timbres et coloris vocaux et instrumentaux.

 

Entrecoupé d’un séjour à Varsovie en tant qu’organiste à la cour du roi de Pologne, le parcours de Merula Tarquinio, organiste et compositeur, évolue entre Crémone et Bergame. Adepte du style concertate, qui favorise le dialogue entre le vocal et l’instrumental, il s’inscrit avec singularité dans ce courant novateur. Sa contribution au développement du madrigal, de la sonate, du motet, souligne un total engagement en adéquation avec les nouvelles orientations et sollicitations musicales. L’ensemble de son œuvre vocale et instrumentale, où le raffinement côtoie la virtuosité, séduit par ses qualités expressives et sa richesse d’écriture.

 

Dans les milieux humanistes, à Venise et au sein des cours, quelques femmes, dont la chanteuse Barbara Strozzi, ont pu développer leur talent. Fille du poète Giulio Strozzi, auteur de livrets d’opéra, c’est auprès de Giulio Caccini qu’elle se forme avant d’être nommée « virtuosissima cantatrice ». Également compositrice, son œuvre abondante comprend plusieurs recueils de madrigaux, de cantates, d’ariettes et d’airs publiés à Venise. La voix, soutenue par une écriture subtilement maîtrisée, y est mise en valeur de manière très originale.

 

Dans le domaine instrumental, Francesco Canova da Milano, auteur de plusieurs tablatures et surnommé « il divino », peut être considéré comme un précurseur :

« Homme que lon tient avoir ateint le but (s’il se peut) de la perfeccion à bien toucher un lut… faisant par une sienne divine façon de toucher, mourir les co[r]des sous ses dois, il transporte tous ceus qui l’escoutoient,… comme si l’ame se fut retirée au bord des oreilles, pour jouir plus à son aise de si ravissante symphonie… »3 Avant de rejoindre Rome il fréquente les cours d’Este et Mantoue.

 

Originaire de Naples le luthiste Andrea Falconiero (ou Falconieri) est engagé à la cour de Parme puis à celle de Modène. Son parcours le mène également à Florence, Rome, Gènes où il enseigne et Naples où il œuvre comme maître de chapelle de la cour. De nombreuses pièces instrumentales sont publiées de son vivant.

 

Autre luthiste et théorbiste renommé, Alessandro Piccinini, natif de Bologne, exerce ses talents à la cour de Mantoue ainsi qu’à Ferrare auprès de la famille d’Este avant un retour à Bologne. Il se distingue par ses recueils de pièces pour luth en tablature, son art de l’interprétation et s’implique dans la facture du théorbe et du chitarrone.

 

Engagé à la cour des Gonzague à Mantoue, sa ville natale, le violoniste Salomone Rossi côtoie Monteverdi et participe au développement du style violonistique et de la sonate baroque dont la sonate en trio. De confession juive, il est aussi l’auteur de psaumes polyphoniques en hébreu utilisant la formation du double chœur.

 

Originaire d’Émilie-Romagne et violoniste renommé, Marco Uccellini, occupe le poste de capo degl’ instrumentisti à la cour d’Este puis de maître de chapelle de la cathédrale de Modène. À Parme, il collabore aux festivités de la famille Farnese. Dans ses œuvres il indique certains détails techniques concernant l’archet et les positions de jeu.

 

Natif de Brescia où il fut maître de chapelle, Biagio Marini, qui « jouait avec une telle excellence », exerce ses talents de violoniste à Saint-Marc de Venise. Avant de séjourner plusieurs années en Allemagne, il entre au service des Farnese à Parme. De retour en Italie il s’établit à Milan, puis à Ferrare et Venise. Se revendiquant d’« inventions curieuses et modernes » qui font sa « rareté et singularité », il transfère les « affects musicaux » au niveau instrumental, faisant preuve d’une imagination qui à la fois surprend, suscite curiosité et intérêt.

 

Prêtre franciscain et violoniste, Giovanni Battista Buonamente est attaché à la cour de Mantoue, ville d’où il est originaire. Il se rend à Vienne pour le mariage de la princesse Éléonore de Gonzague. En tant que compositeur de la Hofkapelle, il assiste à Prague aux festivités du couronnement de l’Empereur. Par la suite, il exerce les fonctions de maître de chapelle du Sacro Convento di San Francesco in Assisi. Tout au long de son parcours son style n’a cessé d’évoluer au contact de diverses influences.

 

1 Certains lieux sont déjà réputés dans ce domaine : Nuremberg pour les cuivres, Crémone pour les cordes, Anvers pour les claviers, Venise pour les luths… L’édition de traités, de méthodes, sert à accompagner la formation au jeu instrumental.

 

2 Par leur puissance, leur esprit de rivalité, leur désir de magnificence, les grandes familles ducales et princières devenues mécènes multiplient les festivités sous diverses formes. Parmi les plus importantes : Les Farnese à Parme, Les Gonzague à Mantoue, les Este à Ferrare et Modène, les Médicis à Florence.

 

3 Extrait de Solitaire second ou Prose de la Musique daté de 1555 de Pontus de Tyard, écrivain humaniste et poète français, membre de la Pléiade.