Saison 2018-2019 – La Chapelle Rhénane

Mercredi 12 décembre 2018 à 20h 30

Eglise St Jérôme

 


« Cantates de Johann Sebastian Bach»


Essentiellement tournée vers la musique vocale du baroque européen « pour la faire vivre aujourd’hui, avec tout son potentiel expressif », La Chapelle Rhénane réunit quelques-uns des meilleurs chanteurs et instrumentistes actuels. Depuis 2001, sous la direction du ténor Benoît Haller,  elle « propose une interprétation musicale originale, sincère, pétillante et rigoureuse ». Le travail de précision mené autour des phrasés, des articulations, des tempi…, est le reflet d’une « recherche à la fois intellectuelle et sensible » nécessaire pour aborder les grandes œuvres d’un répertoire aussi vaste qu’exigeant et nourrir l’équilibre d’une interprétation qui se veut singulière.

 

Interprètes

Aurore Bucher – soprano

Jean-Michel Fumas – contre-ténor

Benoît Haller – ténor et direction

Charles Dekeyser – basse

 

Instrumentistes

Guillaume Humbrecht et Clémence Schaming - violons

Gilles Deliège - alto

Patrick Langot - violoncelle

Michele Zeoli - contrebasse

Johanne Maitre et Christophe Mazeaud - hautbois

Lucile Tessier - hautbois et basson

Élisabeth Geiger - orgue

 

Au programme

Cantates de Johann Sebastian Bach

  • Wachet auf, ruft uns die Stimme BW 140
  • Schwingt freudig euch empor BWV 36
  • Num komm, der Heiden Heiland BWV 62

 

« À l’homme seul il a été donné d’unir la parole à la voix [chantée],

afin qu’il sache qu’il doit louer Dieu par le verbe et la musique […] »

Martin Luther

 

Destinée au concert ou à l’église, la cantate, [cantare, chanter] œuvre musicale pour une ou plusieurs voix apparaît en Italie au début du XVIIe. Profane ou sacrée elle emprunte à l’opéra et à l’oratorio certains de ses éléments constitutifs : récitatifs, airs, chœurs, etc., que vient soutenir ou renforcer un dispositif instrumental approprié.

 

Dans l’Allemagne luthérienne du XVIIe et plus largement au XVIIIe la musique religieuse contribue largement à l’expression de la foi. Encore sous l’influence de l’Italie les prédécesseurs de J. S. Bach comme J. Rosenmüller, F. Tunder, J. Pachelbel, H. Schütz se tournent davantage vers les motets, les psaumes, les passions ou les histoires sacrées. D. Buxtehude est l’un des premiers à développer la cantate d’église en langue allemande. Par la suite J. Kuhnau, G. Böhm, G. P. Telemann, C. Graupner apportent leur contribution à l’évolution de la cantate qui occupe une place privilégiée dans le déroulement de la liturgie luthérienne.

 

En juin 1723, nouvellement nommé au poste de cantor de la Thomaskirche,Bach s’installe à Leipzig ville universitaire et haut lieu du protestantisme. Dès sa nomination il est confronté à de nombreuses tâches très contraignantes inhérentes à ses fonctions1. La composition d’œuvres religieuses, et parmi celles-ci un grand nombre de cantates destinées aux cultes et cérémonies de Saint-Thomas et de Saint-Nicolas, demeure l’une de ses principales obligations. Même si par le passé Bach a déjà eu l’occasion de composer ce type d’œuvre c’est à Leipzig qu’il s’affirme et s’impose comme le maître du genre en donnant à la cantate une structure bien définie où règnent proportion, équilibre et harmonie. D’une part, la somme colossale de ses œuvres qui recouvre « cinq cycles annuels de pièces d’église [Kitchenstücke], pour tous les dimanches et fêtes »2 n’a jamais été réalisée. D’autre part, son ardeur au travail, ses convictions très proches de celles prônées par Luther et sa science musicale incontestable, permettent à Bach d’accomplir son « but ultime [Endzweck] » en composant une « musique d’église bien réglée à la gloire de Dieu. »

 

« […] Il ne disposait quelquefois que d’une semaine pour en composer une. Ce qui frappe de stupeur c’est cette maîtrise qui lui fait coucher sur le papier impromptu, un assemblage vertigineux de lignes. La puissance d’invention et l’infaillibilité du regard qui la juge confondent. » – Luc-André Marcel.

 

En 1729 il prend la direction du Collegium Musicum, renoue avec la musique instrumentale qu’il continue d’honorer ayant déjà à son actif quelques autres grandes œuvres religieuses et profanes. Compte tenu de la charge de travail hebdomadaire l’élaboration de nouvelles cantates devient moins préoccupante. Bach se donne la liberté de réaliser quelques arrangements d’œuvres antérieures, profanes ou sacrées, et même instrumentales, qu’il réadapte selon les nécessités.

 

Destinée à célébrer une fête propre au calendrier liturgique ou une cérémonie particulière, la cantate, intégrée au culte luthérien, est considérée comme un complément musical à la prédication. Le compositeur doit s’aligner sur la thématique spirituelle du jour et s’assurer des moyens dont il peut disposer. Le livret conçu par quelques spécialistes et distribué à l’assistance requiert toute son attention3. Les textes en relation plus ou moins directe avec les Saintes Ecritures fournissent la substance littéraire ou poétique. Les lectures bibliques mais aussi les psaumes, cantiques ou chorals viennent rehausser la portée de la prédication.

 

Sur le plan musical, Bach, ayant parfaitement assimilé et maîtrisé les différents styles et procédés en usage, imprime sa vision personnelle tout en respectant la tradition. Le langage s’adapte à l’éloquence oratoire et nourrit le commentaire sous-jacent exprimé dans les airs, duos ou chœurs. Secco ou arioso, le récitatif permet de moduler la libre élocution avec plus ou moins de souplesse. Élément essentiel du culte luthérien, le choral invite les fidèles à s’associer à la prière.

 

L’apport de Bach au niveau instrumental est tout aussi important, que ce soit au niveau du continuo ou de l’orchestre. Dans son désir de mettre en correspondance un timbre particulier, « individualisé », susceptible d’accentuer certains  affekte  ou aspects symboliques contenus dans le texte, il exploite une palette sonore très diversifiée. Cette singularité est aussi manifeste dans l’accompagnement des voix solistes qui par leur tessiture et le « grain de voix » propre à chacune peuvent renforcer le sens et l’expressivité du texte pour exprimer joie, exaltation, douleur ou recueillement. A ces fins et sans être rétrograde, Bach réserve encore une belle part à la viole de gambe, au hautbois d’amour ou da caccia, à la flûte à bec, aux cornet, tromba, clarino, corne de chasse, etc. Orgue, clavecin, flûte, violon ou violoncelle piccolo, qui se voit confier des parties obligées, participent à cette magnificence sonore.

 

Wachet auf, ruft uns die Stimme ~ BWV 140

 

« Réveillez-vous, la voix du veilleur nous appelle ! »

 

Effectif : soprano, ténor, basse – chœur

cor, hautbois I et II, taille de hautbois, violon piccolo, violons I et II, alto, continuo avec orgue et basson.

 

Egalement dénommée « Cantate du veilleur » l’œuvre est donnée à Leipzig le 25 novembre 1731 dans le cadre du 27e dimanche après la Trinité. Le texte du cantique du théologien P. Nicolai fait référence à la parabole des vierges sages et des vierges folles. Entre ces épisodes s’intercalent des commentaires de l’Évangile, sans doute dû à C. F. Picander, ainsi qu’un dialogue qualifié d’« amoureux » entre l’Âme et Jésus. D’une parfaite architecture en arche, la cantate comprend trois strophes sous forme de choral, où viennent s’intercaler deux récitatifs et deux duos. Elle débute et se conclut par un choral harmonisé à 4 voix. Le choral, confié au ténor, d’où est tiré le nom de l’œuvre est lui placé au centre de l’œuvre4.

 

Choral – Wachet auf, ruft uns die Stimme

Récitatif, ténor – Er kommt, er kommt, der Bräutgam kommt !

Aria, duetto soprano et basse – Wenn Kömmst du, mein Heil ?

Choral, ténor – Zion hört die Wächter singen

Récitatif, basse – So geh herein zu mir

Aria, duetto soprano et basse – Mein Freund ist mein, Und ich bin dein

Choral – Gloria sei dir gesungen

La cantate débute par une sinfonia instrumentale assez majestueuse sur laquelle vient se greffer le thème du choral en cantus firmus. Dans l’attente de l’« ami magnifique » il se déroule par épisodes successifs. Le récitatif qui suit annonce la venue du « fiancé » auquel s’enchaîne un duo d’une grande ferveur, traité sous forme d’allégorie, entre l’Âme et Jésus. Le ténor entonne alors le choral comme une invite au « repas céleste ». Confié à la basse, le récitatif annonce le deuxième duo Âme/Jésus où l’union consommée s’exprime en toute sérénité. Les allusions symboliques traduisent l’union du Christ à la communauté des croyants. Le choral final proclame « dans une douce joie » la gloire de Dieu.

 

La période de l’Avent qui précède la venue de Noël marque à cette époque le début de l’année liturgique qui engendre également un nouveau cycle de cantates.

 

Schwingt freudig euch empor ! ~ BWV 36

 

« Élevez-vous avec allégresse »

 

Effectif : soprano, alto, ténor, basse – chœur

hautbois d’amour I et II, violons I et II, alto, continuo

 

Cette cantate dont les textes sont empruntés à Luther et Nicolai est donnée à Leipzig dans cette version le 2 décembre 1731, 1er dimanche de l’Avent. Elle est un exemple des transformations que Bach a coutume de réaliser en reprenant ici une composition déjà plusieurs fois remaniée par le passé. L’instrumentation et le texte d’origine ont aussi été modifiés et les huit épisodes constitutifs sont organisés en deux parties exécutées l’une avant, l’autre après le sermon. Son originalité repose sur l’absence de récitatif, l’insertion des quatre strophes du choral Nun komm, der Heiden Heiland et le mélange savamment dosé des styles allemand et italien. Elle se déroule dans une atmosphère plutôt joyeuse dans l’attente du Messie.

 

I. Chœur – Schwingt freudig euch empor zu den erhabnen Sternen !

Choral, duo soprano et alto – Nun komm, der Heiden Heiland

Aria, ténor – Die Liebe zieht mit sanften Schritten

Choral, chœur -  Zwingt die Saiten in Cythara

II. Aria, basse – Willkommen, werter Schatz !

Choral, ténor – Der du bist dem Vater gleich

Aria, soprano – Auch mit gedämpften, schwachen Stimmen

Choral, chœur – Lob sei Gott, dem Vater, g’ton

Le caractère à la fois allègre et festif du chœur d’ouverture souligne l’esprit de réjouissance propre à l’annonce de la Nativité. Celle-ci est énoncée dans le choral par le duo féminin suivi par une aria da capo très expressive, signe d’espérance que nous délivre le ténor. Le choral, par une action de grâces toute musicale, peut alors rendre grâce au Seigneur. Si l’aria de basse qui débute la seconde partie fait référence à la confiance placée en Jésus, le choral qui suit, plus tourmenté, entonné en valeurs longues par le ténor évoque le combat de la chair et de l’esprit. Confié au soprano l’aria da capo  opère un retour à la sérénité. Le choral referme la cantate par un appel à la louange du Père, du Fils et du Saint-Esprit.

 

 

Nun komm, der Heiden Heiland ~ BWV 62

 

« Viens maintenant, Sauveur des païens »

 

Effectif : soprano, alto, ténor, basse – chœur

cornet, hautbois I et II, violons I et II, alto, continuo avec violone

 

Bach reprend ici avec quelques modifications une cantate [BWV 61] composée en 1714 durant son séjour à la cour de Weimar alors qu’il est Konzertmeister. Donnée à Leipzig le 3 décembre 1724 pour le 1er dimanche de l’Avent, la nouvelle version comprend six parties et s’identifie à la « cantate chorale »5.

 

Chœur – Nun komm der Heiden Heiland

Aria, ténor – Bewundert, o Menschen, dies große Geheimnis

Récitatif, basse – So geht aus Gottes Herrlichkeit und Thron

Aria, basse – Streite, siege, starker Held !

Récitatif duetto, soprano, alto – Wir ehren diese Herrlichkeit

Choral -  Lob sei Gott, dem Vater, g’ton

 

Faisant ici référence au cantique de Luther, Bach met en valeur l’aspect méditatif qui entoure le mystère de la Nativité. Si dans le 1er chœur le choral entonné par le chœur et repris en cantus firmus évoque l’Incarnation, l’aria da capo  du ténor, en dialogue avec l’orchestre, se déploie en de nombreux mélismes pour exhorter les fidèles à l’émerveillement. La basse expose alors l’idée du rachat des « âmes déchues » par un récitatif secco suivi d’une aria vigoureuse évoquant le combat et le triomphe du Christ. En pleine confiance et de manière plus apaisée, cette vénération est ensuite déclamée sous forme de récitatif par le duo soprano-alto. Louant la Sainte Trinité les dernières strophes du choral, simplement harmonisées, clôturent cette cantate.

 

1 En tant que Thomascantor Bach doit assurer de multiples tâches pédagogiques souvent ingrates auprès des élèves de la Thomasschule. En tant que Director Musices il se doit de composer de multiples œuvres et d’en réaliser les copies, d’assurer les répétitions et la direction le jour venu.

 

2 Dans la Nécrologie sont recensés « Cinq cycles annuels de pièces d’église, pour tous les dimanches et fêtes » mais grand nombre d’œuvres ont été perdues ou dispersées. En dehors des périodes de pénitence, la cantate est partie intégrante de la liturgie des dimanches, des grandes fêtes, mais aussi de quelques cérémonies exceptionnelles, voire des offices nuptiaux ou funèbres.

 

3 Nombreux sont les poètes et écrivains célèbres ou peu connus qui se livrent à cet exercice. Parmi eux Bach a souvent eu recours aux textes du théologien Philipp Nicolai et du poète Christian Friedrich Henrici Picander comme c’est le cas ici.

 

4 Le  Choral du veilleur » BWV 645, œuvre composée par Bach en 1748 est un arrangement pour orgue de ce même choral de Philipp Nicolai confié au ténor dans la cantate Wachet auf, ruft uns die Stimme BWV 140.

 

5 Dès 1724 Bach accorde une place de choix à la « cantate chorale ». Traitée plus librement cette forme intègre des variations sur la mélodie de choral donnant lieu à un travail d’écriture assez complexe. Sous forme de paraphrase, elle peut réapparaître dans les airs ou récitatifs et, passant des voix aux instruments, se développer sous diverses formes : cantus firmus, imitation canonique, fugato, fantaisie…, etc.