Saison 2013-2014 – MAGDALENA KOZENA & ENSEMBLE LA CETRA

Mercredi 26 Mars à 20H30
Eglise Saint Jérôme rue du Lieutenant Colonel Pélissier Toulouse

L’orchestre baroque « La Cetra » – Barockorchester Basel, dont le nom est emprunté à une œuvre de Vivaldi (concerto op. 9) est certainement l’un des meilleurs ensembles internationalement reconnus actuellement. Si les musiciens qui le composent sont largement issus de la Schola Cantorum de Bâle et la direction souvent confiée à des chefs invités comme J. Savall ou R. Jacobs, c’est sous la houlette du directeur artistique Andrea Marcon que l’ensemble développe un travail spécifique, qui s’appuie sur une recherche et une approche « scientifique » des œuvres et une pratique élaborée des instruments historiques, dans la perspective de jouer « la musique d’hier pour les gens d’aujourd’hui ». Puisant dans un vaste répertoire allant de Monteverdi aux grandes œuvres symphoniques du XIXe siècle, l’ensemble aime à s’entourer de solistes de renom, tant au niveau instrumental que vocal, telle la mezzo-soprano Magdalena Kožená, qui se produit régulièrement sur les plus grandes scènes du monde.

Historiquement, la période communément appelée « baroque » apparait en Italie dès la fin du XVIème siècle. Ce courant artistique, caractérisé par de profonds changements d’ordre stylistique et esthétique dans tous les domaines de l’art, va perdurer jusqu’au milieu du XVIIIème. Dans le domaine musical, le passage du stile antico au stile moderno s’opère progressivement et sans rupture excessive. Cette évolution qui, d’un style polyphonique vocal souvent a cappella, va s’orienter vers la monodie accompagnée et la réforme mélodramatique, bouleverse la conception elle-même de la musique, donnant naissance à de nouvelles formes vocales, instrumentales et théâtrales. Ce grand courant novateur va s’étendre à toute l’Europe dans une chronologie et avec des modalités différentes selon les pays.

Dès la fin de la Renaissance, sans renier l’héritage florissant de toute cette période, mais poussés par l’évolution inéluctable des idées, certains compositeurs vont explorer d’autres voies. En témoignent les intermèdes musicaux donnés dans les grandes cours princières (Médicis, Gonzague, Este), avec « suoni, canti e balli », qui intègrent la machinerie théâtrale et résonnent comme les prémices d’un nouveau genre de spectacle. Le madrigal, forme très prisée à l’époque, s’éloigne peu à peu du schéma traditionnel pour s’enrichir de trouvailles mélodiques et harmoniques plus audacieuses au service d’une expression lyrique renforcée, comme le prouvent les œuvres de Luca Marenzio et de Carlo Gesualdo. L’architecture de certains lieux comme la basilique Saint Marc de Venise permet de nouvelles pratiques en jouant sur différentes combinaisons sonores telles le double chœur, l’effet d’écho ou encore la dualité entre voix et instruments. Après Giovanni Gabrieli, Monteverdi lui-même, nommé maître de chapelle à Saint Marc en 1613, cultivera ces procédés. Les travaux de la « Camerata dei Bardi » * à Florence, mettent en évidence la nécessité d’établir un lien étroit entre musique et poésie au service d’une action dramatique susceptible d’évoquer les affeti inhérents au drame. On y voit là l’amorce de la grande réforme mélodramatique ** qui de la monodie accompagnée évoluera vers la forme plus élaborée de l’opéra, affectant de la même manière l’oratorio et la cantate.

C’est dans la première moitié du XVIIe que se cristallisent les grands changements d’ordre stylistique. Ce qui dès lors va prévaloir c’est l’expression d’un mot, d’un texte, d’un état d’âme ou d’une passion que la musique va devoir représenter ou traduire. Sur le plan musical l’apparition du récitatif, l’usage peu à peu généralisé du continuo, le traitement de certaines subtilités harmoniques et rythmiques, deviennent des éléments déterminants de ce nouveau style.

Parallèlement, la musique instrumentale s’affranchit des transcriptions ou doublures des voix dont la Renaissance s’était faite coutumière pour évoluer d’une manière autonome, voire totalement indépendante. Les progrès réalisés par la lutherie et le développement de la facture instrumentale confèrent aux instruments une identité qui leur est propre, renforçant ainsi la palette sonore. La distinction de plus en plus affirmée entre instruments harmoniques et mélodiques leur assure une place bien définie dans le rôle qui est le leur. Aux instruments réalisant la basse, comme orgue ou clavecin, vont s’associer les cordes dont les violes ou les théorbes, ou les vents comme le basson. Les instruments du dessus, violons et cornets principalement, capables de certaines prouesses techniques et d’une virtuosité toute relative peuvent alors rivaliser avec la voix. Dans cet esprit, le dialogue entre voix et instruments qui s’influencent mutuellement marque là aussi l’avènement du style concertato. Sacqueboutes, flûtes, hautbois, trompettes…, interviennent lors d’intermèdes purement instrumentaux comme les ritournelles, sonati, canzone ou encore sinfonie et balli, et peuvent aussi se joindre aux chœurs et solistes dans des œuvres plus développées, comme en témoigne la composition de l’orchestre dans l’Orfeo de Monterverdi créé en 1607.

Au programme

« Con che soavi accenti »

Conçu autour de quelques extraits d’œuvres vocales et instrumentales de Monteverdi et de ses contemporains, illustre parfaitement les nombreux aspects novateurs qu’engendra la réforme mélodramatique. Il donne un éclairage intéressant sur la mise en œuvre de ces avancées décisives autour du concept de « musique baroque » pratiquées en Italie dans la première moitié du XVIIe et qui influenceront toute la musique européenne pendant de très nombreuses années.

Marco Uccellini
ca. 1610–1680
« Aria quinta sopra La Bergamasca, a tre »
Sonate, arie et correnti, Op. 3, Venise 1642

Claudio Monteverdi
1567–1643
« Con che soavità »
Settimo libro de Madrigali, Venise 1619

Claudio Monteverdi
« Disprezzata Regina » (atto primo, scena quinta, Ottavia)
L’incoronazione di Poppea, Venise 1642

Tarquinio Merula
ca. 1594–1665
« Sonata XXIV, Ballo detto Pollicio »
Canzoni overo sonate concertate per chiesa e camera, Op. 12, Venise 1637

Tarquinio Merula
« Aria sopra la ciaccona »
Canzoni overo sonate concertate per chiesa e camera, Op. 12, Venise 1637

Claudio Monteverdi
« Addio Roma, addio Patria, amici addio » (atto terzo, scena settima, Ottavia)
L’incoronazione di Poppea, Venise 1642

Dario Castello
ca. 1590 – ca. 1658
« Sonata XV a quattro »
Sonate concertate in stil moderno, libro secondo, Venise 1629

Claudio Monteverdi
« Quel sguardo sdegnosetto »
Scherzi musicali, Venise 1607

Claudio Monteverdi
« Sì dolce è’l tormento »
Quarto scherzo delle ariose vaghezze (Carlo Milanuzzi), Venise 1624

Claudio Monteverdi
« Damigella, tutta bella »
Scherzi musicali, Venise 1607

Biagio Marini
1594–1663
« Passacaglio a quattro »
Per ogni sorte di strumento musicale diversi generi di sonate, da chiesa, e da camera, Op. 22, Venise 1655

Claudio Monteverdi
« Il combattimento di Tancredi e Clorinda »
Madrigali guerrieri ed amorosi … libro ottavo, Venise 1638

Monterverdi, à la fois héritier de la tradition polyphonique de la Renaissance et résolument tourné vers l’avenir, s’impose par son talent, son génie créateur, son sens de la dramaturgie, sa grande diversité d’expression dans la représentation des passions et la richesse de son langage, comme l’un des grands réformateurs de toute l’histoire de la musique. Dès le premier recueil des « Scherzi Musicali » publié en 1607 apparaissent des choix qui éclairent les nouvelles orientations prises par le compositeur alors au service du duc Vincenzo de Gonzague à Mantoue. Il renferme des pièces à 3 voix principalement, souvent de forme strophique, pouvant être accompagnées et parfois marquées par l’influence de la canzonetta alla francese.
Ses innovations les plus caractéristiques se manifestent surtout dans les huit livres de madrigaux parus entre 1583 et 1638. Ceux-ci présentent conjointement des pièces diverses par leur composition et leur caractère, où transperce la volonté de mettre le discours musical en adéquation avec le sens du texte et d’explorer le champ infini de l’expression des sentiments. Monteverdi ne cesse d’y d’affiner son style et d’y d’affirmer son adhésion à la seconda prattica l’éloignant de la prima prattica. Si les premiers livres comprennent encore des pièces à 4 et 5 voix a capella et une belle diversité d’expression, l’introduction d’une basse instrumentale dans le 5ème livre (1605), l’alternance de pièces à 2 et 3 voix indiquent une attention particulière qui le porte vers la monodie accompagnée. Cette aspiration se concrétise dans le 6ème livre (1614) où il développe le dispositif instrumental et donne à la mélodie une ampleur la rapprochant de plus en plus de l’aria. Dans les 7ème (1619) et 8ème livres (1638) [ou « Madrigali guerrieri e amorosi »], Monteverdi introduit des œuvres de plus grandes dimensions où la forme théâtrale prédomine.
C’est le cas pour « Il combattimento di Tancredi e Clorinda » qui s’inspire de « La Jérusalem délivrée » du poète Le Tasse dont l’histoire se déroule au temps de la première Croisade. Donnée à Venise en 1624, l’œuvre s’appuie sur toutes les possibilités du stile rappresentativo. La présence d’un narrateur, un orchestre réduit avec quelques nouveautés [emploi de trémolos, pizzicati, pour évoquer les bruits de guerre], l’apparition de stile concitato [ou genre animé], les indications scéniques données par le compositeur, dénotent la grande originalité de cette pièce.
Les deux airs extraits de « L’Incoronazione di Poppea », représenté à Venise en 1642, nous entraîne dans l’univers de l’opéra. Celui-ci se caractérise par le choix d’un sujet historique, un sens et une intensité dramatique portés au plus haut niveau et une écriture des plus audacieuses. Monteverdi, alors âgé, signe là une œuvre déterminante dans l’évolution de l’opéra, domaine qu’il affectionna particulièrement, avec la musique religieuse, et qui rend compte de toute l’expérience et du génie que Monteverdi mit au service de la musique.

Aux côtés de Monteverdi, des compositeurs comme Marini, Ucellini, Merula, Castello et bien d’autres, vont œuvrer également dans le domaine de la musique instrumentale qui bénéficie des apports de ce baroque naissant, proposant des « pièces à 1, 2, 3, accommodées pour pouvoir se jouer sur les violons, cornets et instruments de toute sorte ». La sonata à trois avec deux dessus, demeure une des formes privilégiées où s’épanouissent les dialogues en imitation à partir d’un dispositif équilibré. Sous leur influence, la technique instrumentale se développe rapidement et le violon devient en Italie l’instrument expressif par excellence, capable de virtuosité et d’une grande capacité à faire « chanter » la mélodie. Ces avancées ouvrent là aussi le champ à l’apparition de nouvelles formes que seront entre autres la sonate puis le concerto.

* Réunis autour du comte Giovanni Bardi, musiciens, théoriciens, poètes et philosophes prônent un retour aux idéaux de la Grèce antique, où la musique, au service du texte, doit permettre de reproduire les émotions de l’âme humaine. Par leurs recherches et leurs travaux, ils établissent les conditions favorables à l’éclosion du stile rappresentativo qui prélude à la naissance de l’opéra.

** Principaux éléments du langage musical liés à la réforme mélodramatique :
- Le récitatif, dont la fonction principale est de faire avancer l’action. Sorte de déclamation chantée soutenue par une basse, il peut être secco, [collant au plus près aux inflexions de la parole], ou accompagné par plusieurs instruments, [ce qui permet de ponctuer et de nuancer le discours d’une manière plus mélodique].
- Le continuo qui à partir d’une basse chiffrée soutient harmoniquement la mélodie et met en valeur les parties supérieures.
- L’emploi fréquent du chromatisme, des dissonances et tensions harmoniques, enrichit le langage, explorant de nouveaux effets qui renforcent le caractère expressif.
- Une plus grande souplesse rythmique où élans dynamiques avec effets « tension-détente », accents décalés, usage de syncopes ou d’hémioles, changements fréquents de tempi, renouvellent et vivifient le discours musical.

Interprètes
Magdalena Kožena Soprano
&
La Cetra
Barockorchester – Basel

Andréa Marcon : direction et clavecin

Heutjer Katarina – Borhi Eva : violons
Barczi Peter : viole
Pešek Jonathan : cello
Chemin Amélie : viole de gambe
Abraham Federico : violone
Caminiti Daniele- Rodriguez Josias: luths
Keller Johannnes : clavecin
Tarr Philip : percussion