Saison 2013-2014 – SANDRINE TILLY & ANNE LE BOZEC

Mercredi 16 Avril à 20H30
Salon rouge du Musée des Augustins

Complices depuis une vingtaine d’année, Sandrine Tilly, flûte, et Anne Le Bozec, piano, forment un duo attachant d’une rare et belle originalité dans le domaine de la musique de chambre, domaine particulièrement exigeant tant sur le plan technique que sur le plan musical. Au fil des ans elles ont pu ainsi développer un jeu basé sur une entente pleine de subtilité tout en affinant une palette sonore riche en couleurs. Les deux interprètes s’enrichissent mutuellement au contact de leur univers réciproque : pour l’une l’orchestre principalement, et pour l’autre le répertoire pianistique, le lied et la mélodie(*). Ouvertes à un large éventail d’oeuvres qui va des grands classiques d’hier et d’aujourd’hui, aux transcriptions ou adaptations, elles affirment un goût particulier pour la musique française et notamment celles du XXe siècle. Toujours en recherche de nouveautés, elles aiment s’associer également à d’autres artistes, chanteurs ou musiciens, pour le plaisir de découvrir et le bonheur de partager.

Au programme
Sonate en Sol Majeur de Joseph Haydn
Introduction et variations sur « Trockne Blumen » de Franz Schubert
Sonate en Ré Majeur de Sergueï Prokofiev

Par leur conception et leur style les trois œuvres au programme sont parfaitement représentatives des caractéristiques des compositeurs et des périodes qu’elles illustrent.

Joseph Haydn
1732 – 1809

Sonate en Sol Majeur pour flûte et piano
[d’après le quatuor en sol majeur opus 77 n°1]

Allegro moderato – Adagio – Presto

En 1799, Haydn entreprend la composition d’un cycle de six nouveaux quatuors à cordes, forme « classique » exigeante qu’il a déjà portée à un haut niveau de perfection et qu’il souhaite dédier au Prince Franz Joseph Maximilian Lobkowitz *. Mais Haydn, qui travaille parallèlement à son oratorio « Les Saisons », avoue : « toute ma force s’en est allée, je suis vieux et faible ». Il ne parviendra pas à achever cet opus 77 dont seuls deux quatuors subsistent et qui seront également les derniers dans ce domaine.
La transcription du quatuor 77 n°1 a vraisemblablement été réalisée par August-Eberhard Müller en 1803 **, qui l’intitule « Sonate pour le pianoforte avec accompagnement d’une flûte ou d’un violon, par J. Haydn » comme opus 90 dans le propre corpus de son œuvre ***. Des 4 mouvements du quatuor, seul le menuet sera supprimé, mais l’ensemble reste fidèle à la conception générale de l’œuvre originelle, au caractère brillant et tout à fait classique dans sa forme.
Si la partie du premier violon est ici largement confiée à la flûte, le piano assure les autres parties dans un esprit de synthèse à la fois mélodique et harmonique qui ne nuit en rien à l’équilibre sonore, les deux instruments étant parfaitement mis en valeur. L’allegro initial, de forme sonate, s’articule autour de deux thèmes, l’un très rythmique en valeurs pointées, l’autre plus souple et plus coulant qui confère à ce mouvement un caractère vif et enjoué. L’adagio central, sorte de méditation mélancolique, s’étire comme une longue improvisation qui laisse une place prépondérante à l’expressivité de la ligne mélodique, comme c’est souvent le cas chez Haydn. L’œuvre se conclut par un presto très animé construit autour d’un thème d’allure populaire.

* Ce prince de Bohème, mélomane averti, fut l’un des protecteurs de Haydn mais également de Beethoven qui lui dédia plusieurs de ses œuvres importantes.

** August Eberhard Müller (1767-1817) : pianiste, organiste, flûtiste et compositeur allemand qui occupa des postes important à Magdebourg, Leipzig et Weimar. Il composa un grand nombre d’œuvres vocales et instrumentales, dont plusieurs pour la flûte ainsi que des pièces plus didactiques pour le piano notamment. Par ses transcriptions et adaptations il contribua à la divulgation des œuvres de Bach, Haydn et Mozart principalement.

*** L’appellation, « Sonate pour le pianoforte et… » est très courante à cette époque. Le degré de perfectionnement de l’instrument à clavier et son répertoire déjà riche d’une belle littérature lui confère un rôle prédominant. Les instruments comme la flûte, le violon, le hautbois pouvaient être interchangeables selon l’intention des interprètes.

Franz Schubert
1797 – 1828

Introduction et variations sur « Trockne Blumen » D 802

Introduction – Thème – Variations I à VII

En janvier 1824 Schubert écrit une série de variations pour flûte et piano en mi mineur, à partir du thème du lied « Trockne Blumen » [Fleurs séchées] extrait du cycle « Die Schöne Müllerin » [La Belle Meunière]*. A plusieurs reprises, Schubert a fait usage de ce procédé comme c’est le cas pour le quintette avec piano « Die Forelle » [La Truite], le quatuor à cordes « Der Tod und das Mädchen » [la Jeune fille et la Mort] ou encore la « Wanderer – Fantasie » [la Fantaisie du Voyageur] écrite pour le piano. A cette période de sa vie, Schubert, malade et parfois profondément désespéré ***, a déjà écrit une quantité d’œuvres majeures dont de très nombreux lieder. Pendant les périodes de rémission et jusqu’à sa mort il ne cessera de composer, accumulant les chefs-d’œuvre, faisant preuve d’une imagination particulièrement féconde.
Le thème et les sept variations sont ici précédés d’une introduction « Andante » de caractère assez sombre. Après l’exposition alternée du thème entre le piano et la flûte se déroule la série de variations qui passent de l’évocation d’une tristesse contenue à la résignation, mais toujours teintée d’espérance, restant en ceci très proche de l’esprit du poème sublimé par l’inspiration de Schubert. L’écriture s’appuie souvent sur un dialogue entre les deux instruments, la partie de flûte étant enrichie de quelques ornementations qui mettent en valeur ses capacités expressives largement exploitées par Schubert. Chaque variation adopte une structure en deux parties, l’une en mineur, l’autre en majeur (à l’exception des 6ème et 7ème toutes deux en mi majeur), et se développe d’un point de vue soit mélodique soit rythmique. Certaines variations requièrent d’ailleurs une grande virtuosité comme c’est le cas pour la 5ème. La dernière variation, plus développée que les précédentes apporte une sorte d’apaisement presque réjouissant qui contraste étonnement avec le début de l’œuvre. L’évocation du sentiment douloureux et du tragique s’efface ici comme en écho aux dernières strophes du cycle de « Die Schöne Müllerin ».

* « Die Schöne Müllerin » a été composé en novembre 1823 sur des poèmes de Whilhem Müller. « Trockne Blumen » occupe la 18ème place dans le cycle qui comprend 20 lieder évoquant le cheminement d’un jeune homme blessé dans son sentiment amoureux et qui recherche au contact de la nature une consolation à sa profonde mélancolie, à son désir de mort. [Cf. Première et dernière strophe : - « Vous toutes, les fleurs qu’elle me donna, que l’on vous dépose avec moi dans la tombe ». – « Alors, petites fleurs Sortez ! poussez toutes, le mois de mai sera revenu, l’hiver parti ».]

** L’œuvre, que l’on croit être destinée à l’un de ses amis, Ferdinand Bogner **, professeur au Conservatoire de Vienne, ne sera éditée qu’en 1850, bien après la mort du compositeur.

*** « Imaginez un homme qui ne recouvrera jamais la santé […] dont les plus grands espoirs se sont évanouis, pour qui le bonheur de l’amour et les joies de l’amitié ne sont qu’une source de souffrances […] qui risque de ne plus pouvoir s’émouvoir devant la beauté ». Cf. lettre à Leopold Kupelwieser, peintre et ami de Schubert (mars 1824).

Sergueï Prokofiev
1891 – 1953

Sonate en Ré Majeur opus 94

Moderato – Scherzo – Andante – Allegro con brio

Composée en 1943 et créée la même année à Moscou, cette sonate reflète l’un des aspects les plus caractéristiques du compositeur *. Durant cette période, il travaille également au côté du cinéaste Eisenstein pour la réalisation d’ « Ivan le Terrible », grande fresque historique qui succède à l’opéra « Guerre et Paix » et au ballet « Cendrillon ». Désireux de marquer une pause et de revenir vers une forme « abstraite » et « apolitique » * Prokofiev déclare en 1944 : « C’était mon vœu de redonner à la sonate la brillance et la clarté de la musique classique » […], et d’écrire une œuvre pour la flûte, instrument « insuffisamment représenté dans la littérature musicale ».
Né sous le régime tsariste et comptant parmi les compositeurs « russes » et « soviétiques » de la première moitié du 20ème siècle, son langage personnel, antiromantique et souvent avant-gardiste s’inscrit dans une certaine tradition classique qui lui vaut d’ailleurs d’être considéré comme un « néoclassique ». Entre 1918 et 1932 il entreprend de grands déplacements qui le conduiront en Amérique et en Europe **. En 1933, il fait le choix de retourner s’installer en U.R.S.S. Il s’éloigne alors d’un certain engouement « moderniste » dont les tournures audacieuses ont marqué plusieurs de ses compositions et renoue avec la tradition russe qui lui procure d’autres sources d’inspiration. Assumant un style désormais plus dépouillé et plus maîtrisé, il se prononce pour une musique « compréhensive et claire » ***, qui ne nuit cependant pas à l’élaboration d’œuvres de grandes dimensions auxquelles il se consacre dans la dernière partie de sa vie.
Si elle ne présente pas une avancée significative dans l’évolution de la forme en ce milieu du 20ème siècle, cette sonate pour flûte et piano est considérée comme une œuvre originale et importante dans le répertoire de la flûte et dans celui du duo. Construite en 4 mouvements, d’une écriture à la fois claire et lumineuse, elle alterne trois mouvements rapides aux thèmes vigoureux, contrastés et bondissants et un mouvement lent, plus tendre et mélodique, teinté d’un certain lyrisme. Tout au long de l’œuvre les deux instruments évoluent avec une certaine indépendance qui met en relief leur spécificité propre, et poursuivent un dialogue complice dans le déroulement du propos musical.

* Commande du Comité soviétique des affaires artistiques, cette sonate fut créée le 7 décembre 1943 par le flûtiste Charkovsky et le pianiste Sviatoslav Richter à Moscou. A la demande de David Oïstrakh, Prokofiev en fit une transcription pour violon et piano (opus 94 bis) qui fut interprétée par David Oïstrakh et Lev Oborine à Moscou le 17 juin 1944 et évinça quelque temps la première version.

** C’est durant cette période d’ « exil » qu’il séjourne à Paris, collabore avec les Ballets Russes de Diaghilev et côtoie les milieux littéraires et artistiques.

*** « Les Chemins de la musique soviétique » (dans Izvestia, journal national, 1934), Prokofiev écrit : « La musique que nous allons écrire sera monumentale. Sa conception et sa réalisation technique doivent correspondre à l’élan de l’époque où nous vivons ». […] « l’espoir de la musique contemporaine réside dans une nouvelle simplicité ».

Interprètes
Sandrine Tilly, flûte traversière
Anne Le Bozec, piano