Saison 2014-2015 – Marie-Pierre Langlamet et le Quatuor Sine Nomine

Mercredi 19 Novembre à 20H30
Salon rouge du Musée des Augustins
« Masques & Bergamasques »

.« Les musiciens de quatuor doivent s’entretenir comme on le ferait

dans un cercle d’amis, de faits qui ont une véritable importance.

Rien de plus ».

Bedrich Smetana

… Une belle devise qui s’applique avec justesse au Quatuor Sine Nomine, fondé à Lausanne, et qui a fêté en 2012 ses 30 ans d’existence. « Sans nom », telle est l’appellation que les quatre musiciens se sont donnée tant la volonté de se mettre au service de tous les compositeurs et des œuvres qu’ils interprètent est grande et demeure leur ligne de conduite. Audace et partage pourrait justifier leur longévité.

 

Saluée partout en Europe et en Amérique, leur réussite repose sur une amitié profonde, une écoute respectueuse de chacun et une exigence de travail sans laquelle aucune cohésion n’est possible. Ils avouent vouloir lutter contre les habitudes, partager l’énergie, inscrire leur tâche dans la durée, aborder encore avec spontanéité un répertoire riche de plusieurs siècles de musique pour qu’ « une fois dans la matière l’état de grâce revienne ».

 

Pour mieux faire rayonner leur passion, ils créent en 2001 le Festival « Sine Nomine » s’entourant d’autres musiciens qui partagent leur goût et leur amour de la musique de chambre.

 

Interprètes;

Quatuor Sine Nomine

Patrick Genet & François Gottraux

violons

 

Hans Egidi

alto

 

Marc Jaermann

violoncelle

 

&

Marie-Pierre Langlamet

harpe

 

« … notre époque a besoin de beauté, et surtout de « la musique », qu’on affuble parfois d’oripeaux divers et de masques grimaçants, comme si l’on avait peine à voir sa véritable figure… votre ami »


Claude Debussy à André Caplet en 1910

 

 

Au programme;

Claude Debussy

(1862 – 1918)

Suite Bergamasque : Prélude & Menuet

(arrangement pour harpe seule)

 

André Caplet

(1878 – 1925)

Conte fantastique pour harpe et quatuor à cordes

d’après une des histoires extraordinaires d’Edgar Poë
 » Le Masque de la Mort rouge « 
[pour harpe (ou piano) & quatuor à cordes]

Claude Debussy

Danses pour harpe & quatuor à cordes

Danse sacrée

Danse profane

Claude Debussy

Quatuor à cordes en sol mineur op.10

Animé et très décidé – Assez vif et bien rythmé

Andantino, doucement expressif – Très modéré / Très mouvementé


Réunir André Caplet et Claude Debussy dans un même programme souligne le lien d’amitié qui les unissait et met l’accent sur l’intérêt tout particulier qu’ils portèrent à la harpe suscitant par là un engouement  tout nouveau à ce tournant du siècle.

C’est dans le dernier tiers du XIXe siècle que s’amorce la période de renouveau de la musique française qui depuis le milieu du XVIIIe a connu de nombreuses éclipses. S’écartant à la fois du romantisme, de l’emprise allemande et de l’opéra italien dont les influences perdurent, les compositeurs vont s’affranchir de certaines contraintes « académiques » pour entrer dans la modernité du siècle à venir. En privilégiant la musique de chambre et d’orchestre, la mélodie et le répertoire pianistique notamment, ils opèrent avec audace et raffinement un retour à la musique « pure ». Si Franck, Saint-Saëns puis d’Indy et Fauré sont parmi les premiers initiateurs de ce mouvement, c’est avec Debussy que cet esprit de renouveau prend tout son sens.*

 

* Réticent aux règles préétablies, Debussy affiche très tôt indépendance et liberté dans l’expression de son art et le désir de tracer sa propre voie. En 1885, il écrit : «  Je crois que je ne pourrai jamais enfermer ma musique dans un monde trop correct… J’aimerais mieux une chose où, en quelque sorte, l’action soit sacrifiée à l’expression longuement poursuivie des sentiments de l’âme. »

 

Claude Debussy : Suite Bergamasque

 

Publiée en 1905, la « Suite Bergamasque » *, par la succession des quatre pièces qui la composent, [- Prélude, Menuet, Clair de lune, Passepied -], l’esprit, la clarté des lignes mélodiques et les effets de timbre, est une sorte d’hommage aux clavecinistes français du XVIIIe siècle que Debussy admirait.

 

* Cette œuvre pour piano, a plusieurs fois fait l’objet d’arrangement ou de transcription. Caplet en a d’ailleurs réalisé une transcription pour orchestre.

 

André Caplet : Conte fantastique

 

Compositeur peu reconnu de nos jours, André Caplet, disciple de Debussy *, s’imposa surtout par ses activités de chef d’orchestre, d’orchestrateur, et par ses compositions destinées à des formations quelque peu originales, accordant une attention particulière à la voix, la harpe et la musique de chambre.

Son « Conte fantastique » dans sa version harpe diatonique et quatuor à cordes fut donné en 1923 à Paris par le quatuor Poulet et la harpiste Micheline Kahn.

L’une des histoires extraordinaires d’Egdard Poë, « Le Masque de la Mort Rouge » ** est le fil conducteur de l’œuvre dont Caplet va traduire toutes les facettes avec une grande force expressive. Le traitement cette œuvre se rapproche de l’esprit d’un poème symphonique, qui par son contenu littéraire autorise l’introduction d’éléments évocateurs ou descriptifs. La structure formelle s’apparente globalement à une forme en arche – ABCBA – avec quelques transformations des éléments thématiques pour mieux s’adapter au texte. Le rythme, par ses accélérations, ses tensions et effets de distorsion en renforce aussi le sens.

Caplet a confié ici à la harpe un rôle très important. Soliste, c’est elle qui expose les motifs principaux identifiant notamment la Mort et le Masque rouge, elle aussi qui sonne les heures. L’utilisation de toute sa tessiture et des effets sonores qui lui sont propres (glissando, résonance, chromatisme, percussion, vélocité…) permet au compositeur d’explorer un grand nombre de situations et de sentiments. Caplet a d’ailleurs noté avec une grande précision les différentes nuances et les intentions souhaitées. Les cordes, par l’usage de procédés divers (harmonique, sourdine, pizzicati, col legno…) participent à l’exploitation de toute cette palette expressive, le mariage cordes pincées et cordes frottées offrant ici de beaux contrastes de couleurs. Elles contribuent largement à traduire cette atmosphère à la fois dramatique, voluptueuse, parfois palpitante, tendue ou grinçante, mystérieuse et étrange, qui reflète si bien l’univers du fantastique.

 

* Caplet orchestra plusieurs œuvres de Debussy dont « La Boîte à Joujoux », « Le Clair de Lune » et quelques fragments du « Martyre de Saint-Sébastien ». Il réalisa également des réductions pour piano de certaines autres œuvres de Debussy.

 

** Baudelaire en fit une traduction sous le titre « Histoires extraordinaires » en 1856 et publia la traduction du « Masque de la Mort rouge » en 1845 dans le recueil « Nouvelles histoires extraordinaires ».

 

« La Mort Rouge avait pendant longtemps dépeuplé la contrée. […] le prince Prospéro convoqua les chevaliers et les dames de sa cour, dans une de ses abbayes fortifiées […] pendant que le fléau sévissait au-dehors le prince Prospero gratifia ses mille amis d’un bal masqué de la plus insolite magnificence. […] dans la chambre noire, la lumière du brasier était épouvantablement sinistre […] C’était aussi dans cette salle que s’élevait une gigantesque horloge d’ébène. […] d’heure en heure, les musiciens de l’orchestre étaient contraints d’interrompre un instant leurs accords pour écouter la musique de l’heure […] Et la fête tourbillonnait toujours lorsque s’éleva enfin le son de minuit de l’horloge. Alors, la musique s’arrêta; il se fit partout, une anxieuse immobilité. […] plusieurs personnes avaient eu le temps de s’apercevoir de la présence d’un masque [...] Le personnage était grand et décharné, et enveloppé d’un suaire de la tête aux pieds. […] une terreur mortelle s’était emparée de tout le monde. […] On reconnut alors la présence de la Mort rouge. Elle était venue comme un voleur de nuit. Et tous les convives tombèrent un à un dans les salles de l’orgie inondées d’une rosée sanglante ».

 

(Résumé du conte d’Edgar Poë dans la traduction de Charles Baudelaire)

 

Claude Debussy : Danses pour harpe et cordes : Danse sacrée, Danse profane

 

L’œuvre achevée en 1904 et intitulée à l’origine « Deux danses pour harpe et orchestre d’instruments à cordes » * est donnée la même année en première audition à Paris dans le cadre des Concerts Colonne. Ces deux danses s’opposent par leur caractère, [« gravité » pour l’une – « grâce » pour l’autre], mais adoptent toutes deux quelques tournures harmoniques modales qui mettent en évidence une recherche de sonorités « étranges » jouant sur les dissonances qu’accentuent encore les contrastes rythmiques et l’évocation d’un temps au charme suranné.

 

* En 1894 la maison Pleyel travaille à l’invention d’une harpe chromatique sans pédales et fait commande à Debussy d’une œuvre pour ce nouvel instrument destinée au concours du Conservatoire royal de Bruxelles. Debussy spécifie toutefois que « la partie soliste peut-être jouée par la harpe à pédales ou sur le piano ». Lui-même en réalise une version pour deux pianos.

 

Claude Debussy : Quatuor à cordes en sol mineur

 

Dédicataire de l’œuvre, le Quatuor Ysaÿe en est le premier interprète en décembre 1893 à la Société Nationale de Musique. * Debussy n’écrira qu’un seul quatuor à cordes mais marque ainsi l’une de ses premières incursions dans le domaine de la musique de chambre.

Si l’œuvre renvoie à une structure classique en quatre mouvements et reste encore soumise à diverses influences, elle contient déjà certaines tournures toutes personnelles qui annoncent la grande liberté d’expression des compositions à venir et son détachement de toute convention formelle. Comme un clin d’œil au procédé « cyclique » de Franck, un thème principal de caractère modal circule tout au long de l’œuvre subissant de nombreuses transformations d’ordre mélodique, rythmique et harmonique. Il s’accompagne de plusieurs motifs secondaires plus ou moins développés. L’assise rythmique parfois abrupte et la souplesse des lignes mélodiques souvent élégantes mettent en valeur tour à tour le caractère vif ou méditatif non dépourvu d’une sensualité discrète et d’élans lyriques retenus.

L’éloignement volontaire du système tonal, la recherche d’une palette de couleurs par la combinaison de timbres propres à chaque instrument et l’utilisation d’accords encore peu usités signent aussi le début d’un profond bouleversement de l’évolution du langage musical à cette époque. La critique se montrera sévère jugeant l’œuvre déroutante. Paul Dukas prendra sa défense soulignant « l’essence mélodique de l’œuvre… d’une riche saveur [et] le tissu harmonique d’une poésie pénétrante et originale ».

Durant cette même période Debussy s’attèle à deux autres œuvres capitales. Suite à la découverte du « Pelléas et Mélisande » de Maeterlinck, il songe à mettre la pièce en musique. La composition s’étalera sur une dizaine d’années et révolutionnera la conception du théâtre lyrique. Entre 1891 et 1894, il travaille à l’une de ses plus belles réussites,  « Prélude à l’après-midi d’un faune », toujours considéré comme une œuvre majeure depuis sa création.